17.11.14

Lidia

on perd facilement l’habitude d’écrire. j’aurais aimé dire ces jours-là. la robe mauve à emporter dans la terre. le corps endormi dans un cocon rose. l’église grandiose et belle. la cérémonie méritée. le son lent des cloches. en l’honneur de cette grande dame de ma chair, de ma langue, de mon pays.

la tristesse immense éprouvée là, puis subitement, en des moments inopportuns du quotidien d’après. une peine vieille comme le monde, vieille comme la vie, portant en elle le mystère de sa filiation.


*

ce soir-là où, blottis dans la chaleur des plumes, je prononce à mi-voix ma peine. le silence qui règne alors, tandis qu’il récolte une à une les larmes dans le creux de son cou. quelques secondes avant d’entendre, d’abord discrètement, puis de plus en plus distinctement, le son d’un grelot qu’on agite.

le chat apparaissait avec le grelot dans sa gueule ; il était monté sur une tablette haut perchée du bureau, était allé le recueillir sur la photo de Cloé, pour ensuite venir nous trouver.

aux funérailles de l’enfant, on avait remis à chacun un grelot, disant qu’il nous suffirait de l’agiter pour entendre Cloé rire.

je m’explique encore mal pourquoi le chat a choisi ce moment pour agir de la sorte. lui qui n’avait jamais fait ça, ne l’a plus jamais refait non plus. mais j’aime à penser que c’est elle, Cloé, qui est venue nous transmettre un peu de sa force, de sa lumière et de sa joie.

5.10.14

le jour de la marmotte

j’ai beaucoup de questions, d’interrogations ; et, il me semble, très peu de mots pour le dire.

3.10.14

« l’hystérique s’éprouve dans les hommages faits à l’autre femme,
et offre la femme en qui elle adore son propre mystère
à l’homme dont elle prend le rôle. »

- J. L.

10.9.14

« le visage d’une mère est pour l’enfant son premier livre d’images. ma mère avait un visage de bon pain et j’aimais, quand elle me soulevait de terre et me portait à la hauteur de ses yeux, tapoter de mes doigts boudinés de garçon de trois ans la mie de ses joues claires. un peu plus tard, quand je commençai à écrire, vers six ou sept ans, je m’amusai à dessiner de mes doigts quelques mots sur ses joues. elle fermait les yeux, me laissait faire puis, sans jamais se tromper, disait à voix haute le mot que je venais d’appuyer sur sa chair : eau, feu, terre, lune. ainsi, celle dont la patience m’instruisait sur l’éternel était-elle devenue ma première page blanche. » (p.23)

« tout amour touche en nous à l’enfance, c’est à elle qu’il s’adresse et c’est sur un tel fond de blancheur que s’imprima soudain le visage en or de Louise Amour : je crus qu’il y avait dans son sourire assez de chaleur pour faire fondre toutes les neiges et, avec elles, toutes les noires mélancolies des mères hirondelles. » (p.34)

Christian Bobin, Louise Amour, Paris, Gallimard, 2004.

10.8.14

« l’enfant en bas âge s’aventure dans la parole comme on se risque en pays étranger : captant quelques intonations, apprenant vite les rudiments nécessaires à la satisfaction de ses besoins vitaux. la langue dite natale n’est qu’une langue étrangère que l’on aurait, avec le temps, parfaitement assimilée. la seule langue vraiment natale est celle dont nous connaissons d’emblée les moindres finesses : ses mots, ce sont les visages. ses phrases, ce sont celles d’un amour où plus rien de nous n’est laissé à l’étranger.

ce qui est dit n’est jamais entendu tel que c’est dit : une fois que l’on s’est persuadé de cela, on peut aller en paix dans la parole, sans plus aucun souci d’être bien ou mal entendu, sans plus d’autre souci que de tenir sa parole au plus près de sa vie. » (p.36-37)

Christian Bobin, L’éloignement du monde, Paris, Lettres Vives, 1993.

à la bibliothèque

à la bibliothèque, je parcours lentement les rayons des romans québécois. j’en extrais quelques histoires oubliées, que je dépose bien à la vue des gens en quête d’idées de lecture. je les fais prendre place entre les Follet et les James de ce monde, dans l’étagère que mes collègues et moi remplissons de nos coups de cœur.

leur couverture défraichie ornée d’un titre seul n’attire peut-être pas autant l’œil qu’une cravate sur un fond bleu, mais il m’arrive oui de voir partir ces livres de la bibliothèque, entre les mains de lecteurs nouveaux.

c’est, pour moi, une petite victoire - une grande félicité.

juin

l’impression que j’ai du retour, c’est l’inquiétante étrangeté.

16.5.14

division

de ces années où l’écriture était purge de passions éphémères, il ne reste qu’un flou identitaire. je ne dis pas (même si dire qu’on ne dit pas est en fait une façon de dire)

je me suis perdue à moi-même

je dis

j’ai vécu autrement

*

lier cette fille
à celle d'aujourd’hui

pour apaiser le symptôme
de quelque chose qui manque à dire

lumière

par ici je prends soin des plantes.

les perles

les perles, toujours, se détachent des boucles.

j’imagine un coffre rempli de perles dépareillées, artéfacts d’instants passés de ma vie.

13.3.14

l'objet manqué

et que tes cheveux se débrochent
en motocross
comme des vagues
(j.h.)

il y a des jours où l’envie de fumer m’obsède tant qu’on me croirait personnage de fiction. je pense à ces femmes belles et longues qui déambulent dans les rues ou flottent sur les terrasses des cafés, tournant subtilement la tête pour laisser s’échapper la fumée. ces femmes qui lisent, réfléchissent, se reposent au soleil. et fument. tranquillement.

la personne assise à quelques tables de la mienne se racle la gorge. je tourne la tête, perçois l’odeur de sa cigarette. c’est là, dans cet instant d’impossible nausée, que la fiction ne peut plus continuer.

c’est là que mon délire prend conscience de son délire et que je ne me lève pas, au final, pour demander une cigarette à la personne qui fume à côté de moi.

et pourtant, le désir demeure.

7.3.14

« je suis l’amie de tous les mexicains. je pourrais déclarer que je suis la mère de la poésie mexicaine, mais c’est mieux que je ne le dise pas. je connais tous les poètes et tous les poètes me connaissent. je pourrais donc le dire. je pourrais affirmer : je suis la mère et il y a un foutu zéphyr qui court depuis des siècles, mais c’est mieux que je ne le dise pas. je pourrais dire, par exemple : j’ai connu Arturito Belano quand il avait dix-sept ans et c’était un enfant timide qui écrivait du théâtre et de la poésie et qui ne savait pas boire, mais ce serait d’une certaine manière une redondance et on m’a enseigné (on m’a appris avec un fouet, avec une baguette en fer) que les redondances sont de trop et qu’il faut s’en tenir à l’argument. »

Roberto Bolaño, Amuleto, Montréal, Les Allusifs, 2002, p.9.

la fille d'une mère

tandis que ça parle autour de moi dans cette langue qui m’a un jour entamée, puis s’en est allée se faire oublier dans ce lieu inconnu de la façon que j’ai depuis d’appréhender le monde (et de le nommer),

je réapprends à être.

à être la fille de ma mère.

les enfants se jettent dans la phrase

ces mots à elle manquent aussi. je relis les notes du séminaire pour la faire vivre ici.

mettons-nous à l’école de la folie et nous apprendrons beaucoup de choses sur nos propres processus psychiques.

le réel, ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.

1.3.14

horizons

ces rêves où les vagues tombent et emportent
comme cette nuit où la peur me tire du sommeil


*

encore cette vague qui menace de s’écraser

je la vois gonfler à l’horizon
suis figée sur la plage
enracinée dans mon corps
trop petit

20.2.14

« à la maison, maman est allongée sur le lit, elle lit un livre en français. nous sautons sur le lit, elle nous tâte les pieds. ils sont si froids. glace, elle prononce le mot glace. et puis elle nous ôte nos quatre chaussettes, prend nos pieds nus de patineuses et les glisse sous son chandail contre la peau tiède de son ventre. paradis trouvé. »

Siri Hustvedt, Un été sans les hommes, Paris, Actes Sud, 2011, p.209.

je n'ai pas apporté christian bobin

et je dois dire que je regrette.

à cet instant de fermer les valises, ma main pourtant effleurait autoportrait au radiateur. j’ai pensé sors des sentiers battus, ose, va vers autre chose.

et la poésie manque.

il y a dans certains livres une vérité qu’il fait bon retrouver en temps d’incertitude.

souvenir d'enfance III

sur staveley, nous nous couchions aux pieds de maman qui faisait la vaisselle, nous réchauffant contre la bouche d’aération fendant le plancher en-dessous de l’évier.

casa

dans un restaurant où les murs
ornés de tableaux colorés
accueillent les mots des gens de passage

nous avons écrit

« ça ne pourra pas toujours ne pas arriver »