« le visage d’une mère
est pour l’enfant son premier livre d’images. ma mère avait un visage de bon
pain et j’aimais, quand elle me soulevait de terre et me portait à la hauteur
de ses yeux, tapoter de mes doigts boudinés de garçon de trois ans la mie de
ses joues claires. un peu plus tard, quand je commençai à écrire, vers six ou
sept ans, je m’amusai à dessiner de mes doigts quelques mots sur ses joues. elle
fermait les yeux, me laissait faire puis, sans jamais se tromper, disait à voix
haute le mot que je venais d’appuyer sur sa chair : eau, feu, terre, lune.
ainsi, celle dont la patience m’instruisait sur l’éternel était-elle devenue ma
première page blanche. » (p.23)
« tout amour touche en
nous à l’enfance, c’est à elle qu’il s’adresse et c’est sur un tel fond de
blancheur que s’imprima soudain le visage en or de Louise Amour : je crus
qu’il y avait dans son sourire assez de chaleur pour faire fondre toutes les
neiges et, avec elles, toutes les noires mélancolies des mères hirondelles. »
(p.34)
Christian
Bobin, Louise Amour, Paris, Gallimard,
2004.